les vautours...

« Bonjour ! »
« Bonjour. »
« Monsieur François ? »
« Oui. »
« C’est Jean-Michel ! »
« Jean-Michel ??? »
« Oui, Jean-Michel, votre contact clientèle à la Caisse populaire agricole ! »
« Ha… mais je ne pensais pas être à découvert… »
« Justement non ! Et je vous appelle notamment pour vous en féliciter ! »
« Ha… Merci. »
« Vous avez fort bien rétabli votre situation financière Monsieur François ! »
« Disons que notre fille a enfin retrouvé du travail, alors on n’est plus obligé de l’aider autant et donc… »
« Tout à fait ! Tout à fait ! Et maintenant vous avez sur votre compte un joli pécule qu’il serait regrettable de laisser végéter ! »
« Un joli pécule ? »
« Tout à fait ! Tout à fait ! 3 500 euros qui dorment sans rien vous rapporter ! »
« Et bien vous n’avez qu’à davantage rémunérer les comptes… »
« Ha, ha ! Amusant Monsieur François, mais vous savez bien que c’est impossible ! Par contre, nous pouvons vous proposer des placements qui vous permettront de faire rapidement fructifier votre capital ! »
« Ha… Et c’est risqué ? »
« Voyons, Monsieur François, croyez-vous que, si c’était risqué, je vous le proposerais ? »
« Non... c’est sûr… vous n’êtes pas VRP… »
« Hé non ! Je suis conseiller en placements ! »
« Ha ? Vous n’êtes plus contact clientèle ? »
« C’est la même chose Monsieur François ! La même chose ! Alors, je vous parlais de nos placements… »
« Oui. »
« Ils se basent sur un portefeuille d’actions élaboré via une sélection de titres moteurs de la Bourse… »
« C’est aléatoire la Bourse… »
« Ha, Monsieur François, ne dites pas cela ! Ce sont les frileux et les ignares qui disent cela !
« Ha… »
« Oui ! La bourse, au contraire, c’est scientifique ! La valeur de nos actions est prévisionnée à long terme par des formules mathématiques que nos spécialistes pourraient vous expliquer, mais cela vous ennuierait sans doute… »
« Sûrement. »
« Et bien donc, ce portefeuille peut vous rapporter jusqu’à 50% de bénéfices en 2 ans ! »
« Ha… Il peut… Mais ce n’est pas sûr… »
« Evidemment Monsieur François ! Mais, au pire, le capital initial est garanti. A l’exception bien sûr des cas stipulés dans l’annexe 2b du contrat. »
« Qui sont ? »
« Ce n’est pas l’important Monsieur François ! L’important c’est de savoir si vous voulez aller de l’avant ! Parce que, je vous le dis, dans un monde qui bouge, si on ne bouge pas soi-même, on finit par reculer ! »
« Quand on recule, on bouge aussi… »
« Ha, ha… oui, certes... mais vous m’avez compris ! Dans ce monde, il y a ceux qui veulent gagner et ceux qui sont trop timorés pour seulement jouer ! »
« Vos placements, c’est un jeu ? »
« Mais non voyons, c’était une image ! »
« Eclairante. Mais je veux dire… 3 500 euros, ce n’est pas beaucoup… »
« Il en tient qu’à vous de remédier à cela ! »
« Et comment s’appelle votre portefeuille ? »
« Euronatixis… Rien que le nom est une promesse ! »
« Bon. Très bien. Envoyez-moi les papiers à signer. »

Jean-Michel raccrocha le combiné et se passa la main sur le visage comme pour en chasser les rictus qui rythmaient ses conversations téléphoniques. Comme tout bon comédien, il ressentait physiquement son rôle. Parfois, il se surprenait même à se trouver sympathique.

Il avala une grande gorgée de Perrier tiédi par l’ambiance climatisée et griffonna une croix à côté du nom de Monsieur François.

L’objectif trimestriel s’approchait.

Il contempla alors la liste des clients suivants et, étant passablement fatigué, s’arrêta sur le plus âgé d’entre eux. 86 ans. Avec un laïus bien senti sur l’avenir des petits-enfants, ça devrait passer sasn trop de difficultés.

En face de lui, un clone en cravate mauve et chemise Eden Park aux manches retroussées lui adressa un sourire carnassier tout en mimant une copulation sodomite qui illustrait la conclusion d’une nouvelle affaire.

Jean-Michel sentit une légère amertume lui obstruer la gorge mais il ferma les yeux et s’imagina sur une plage des Maldives en compagnie de Rebecca…

Avec un tel luxueux voyage, c’est certain, elle resterait avec lui au moins pendant six mois de plus. Un an même peut-être.